21 Sep « Je ne sais s’ils se rendent compte du mal qu’ils font »

Nous sommes en MARS 2014, la veille de mes 24 ans. J’ai un retard de règles, des douleurs, ma poitrine est plus lourde,

Nous sommes en MARS 2014, la veille de mes 24 ans.
J’ai un retard de règles, des douleurs, ma poitrine est plus lourde, je le sais au fond de moi que je suis enceinte mais bon je me dis qu’on a le temps et que de toute façon c’est pas possible.
J’achète quand même à tout hasard un test de grossesse. Résultat positif. Je recommence, parce que je ne veux pas y croire. Je fais 6 tests, 6 positifs. Mon monde s’écroule, j’ai 23 ans et je suis dans l’incapacité de m’occuper correctement de moi-même, alors d’un enfant… La pharmacienne me dévisage, elle a compris, elle me glisse un subtil « Vous ne vous protégez pas, à notre époque franchement … »
J’ai pas l’énergie de lui répondre ou de lui raconter ma vie, elle m’a cataloguée ça se voit, ça se sent.
Je sors honteuse de la pharmacie.
Le soir même j’ai ma soirée d’anniversaire avec une trentaine de copains, je ne peux pas annuler, je dois y aller, je dois le faire, sauver les apparences ça semble si important dans ce genre de situation.
Je m’assois dans mon hall immeuble et je réfléchis, quelle solution, qui appeler… et puis je me souviens qu’un copain m’a parlé d’un site qui permet de prendre rendez-vous rapidement sur internet avec des praticiens.
Cette solution me parait la meilleure, me voilà donc devant mon ordinateur en quête d’un gynécologue.
Je choisi une femme je trouve ça plus rassurant.
Elle a un joli prénom, ça me rassure aussi je ne sais pas trop pourquoi… Les hormones sûrement.
Elle a cabinet dans le 16e, je ne connais pas bien ce quartier mais peu importe puisqu’ELLE PEUT ME PRENDRE DES LE LENDEMAIN.
Je suis soulagée j’ai rendez-vous à 16 heures.
Je ne connais rien à l’IVG et je ne me renseigne même pas, imaginant que tout se déroulera demain et que je suis libre de passer ma soirée d’anniversaire sereinement sans trop penser à tout ça.
Voilà je suis dans la salle d’attente, j’ai pas dormi de la nuit, je suis crevée et autour de moi des photos d’enfants partout…
Des posters roses, des posters bleus, des bébés, des familles.
Je sens quelque chose de lourd tout au fond de ma poitrine mais j’essaie de le refouler et de me concentrer sur la pile de tabloïds étendus sur la table basse.
J’entends mon nom.
Je me lève et je me dirige vers cette femme brune, je suis marquée par sa beauté et son sourire.
Elle est tout de suite très gentille et très maternelle, une fois la porte close elle me dit « Vous êtes enceinte, n’est-ce-pas »
Je ne sais pas trop comment elle l’a su mais à ce moment-là je me sens soulagée, elle était si souriante, je me sentais tellement en sécurité.
Je n’ai pas le temps de lui répondre qu’elle me demande de la suivre et de m’allonger pour qu’elle m’ausculte.
Je m’exécute elle semble si sure d’elle que je la suis sans sourciller, une fois allongée elle prépare la machine d’échographie tout en me parlant.
Elle me dit à quel point un enfant c’est merveilleux, elle, elle en 3 et ils ont « changé sa vie ».
Je me sens de plus en plus mal mais aucun mot ne peut sortir de ma bouche.
Elle me demande de baisser ma jupe et de lever mon t-shirt, encore une fois je m’exécute.
Elle continue de me parler de ses enfants, et puis d’un coup juste avant qu’elle pose sa machine sur mon bas ventre, j’ai un déclic et je sors tel un râle « je veux avorter »

Vous êtes sûre de vouloir avorter ? Cet enfant aura vos yeux...

De longues secondes se passent, avant qu’un mouvement ou qu’un son ne traversent la pièce.
Elle range la machine, méticuleusement.
Elle ne dit plus rien et ne sourit plus,
Elle me palpe le ventre et me dit « Vous êtes enceinte d’au moins 5 semaines, vous pouvez vous rhabiller »
Je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas d’échographie, pourquoi c’est aussi rapide mais je me rhabille et je la rejoins dans son bureau.
Je me sens mal, j’ai envie de disparaître, mais je dois poser des questions et me faire violence.
Finalement c’est elle qui parle en premier « Vous êtes sûre de vouloir avorter, cet enfant aura vos yeux »
Pour la petite histoire, j’ai des grands yeux clairs.
Je lui réponds que oui, que je ne peux pas, que c’est arrivé au mauvais moment.
Elle me dévisage, elle sort une feuille de soin (oui le papier marron) prétextant « ne pas prendre la carte vitale » alors que je vois très clairement la machine sur son bureau.
Elle me demande 90 euros, je lui donne en espèces… d’une voix à peine audible je lui demande ce que je dois faire maintenant.
Elle ne répond pas, et griffonne sur un bout de papier puis me le tend : « appelez ce docteur ».
Je range le papier et sors vite de cet endroit.
Une fois dans la rue je ressors le papier et me rends compte qu’il n’y a qu’un nom pas de numéro, je ne me décourage pas et recherche sur mon portable.
J’appelle et tombe directement sur le docteur, c’est un homme, sa voix semble âgée.
Je bafouille mais je finis par lui dire que je viens de la part de l’autre Dr, il me coupe et me dit « Venez en fin de journée on réglera votre problème », il me donne son adresse et raccroche.

Le cabinet est à l’autre bout de Paris, je m’y rends. En chemin je vomis, est-ce la grossesse ou l’angoisse, je ne le saurai jamais.
J’arrive en avance, je tue le temps en faisant les cents pas dans la rue.
Je décide finalement de monter chez le docteur, en me disant que je serai plus à l’aise dans une salle d’attente.
Dans cette salle plusieurs jeunes femmes, aucune ne se regarde, mais on sent bien que nous sommes toutes là pour la même chose.
Sur les murs aucune photo d’enfant mais les tarifs du docteur imprimé format A4.
Je suis la dernière à passer, je tombe nez à nez face à monsieur d’environs 70 ans, il me demande de me déshabiller, il me fait l’échographie et me dit que je suis « juste » pour une ivg médicamenteuse mais « qu’on va le faire quand même ».
Il me fait m’asseoir et m’explique brièvement ce qui va se passer, une fois son discours fini il me le fait répéter afin de s’assurer que j’ai bien tout retenu.
Il sort une feuille blanche, « la feuille de suivi » et c’est à ce moment-là que je comprends que son bureau en est truffé, il y en a partout, par terre, sur la commode, à côté du téléphone, sur le bureau … ON EST LITTÉRALEMENT A L’USINE.
Je remplis la feuille et lui rends, avant de me donner les cachets il me demande de le payer, le prix est très élevé mais je ne m’en souviens plus, cette partie-là de l’histoire est nébuleuse pour moi.
Une fois que l’argent change de main il me donne les cachets, et me prescrit une ordonnance pour du Valium à prendre à la pharmacie du coin…

Cette expérience, m’a traumatisé pour plusieurs raisons, premièrement aucune femme ne ressent de la fierté à se faire avorter, c’est déjà un coup dur en soi, deuxièmement tomber sur ce type de médecin donne envie de se jeter dans la Seine, la souffrance psychologique et morale doublent toutes les secondes, et enfin la douleur physique mêlée à tout ça fut atrocement violente.
Je ne sais si ces prétendues docteurs se rendent compte du mal qu’ils font mais je voudrais dire à chaque femme qui pourrait être amenée à rencontrer ce type d’individu… N’ayez pas honte, ne pleurez pas et par-dessus tout : vous êtes pas seule.